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Chroniques
Bruno Maderna
Satyricon
Quelques années après son compatriote Federico Fellini (Fellini Satyricon, 1969), Bruno Maderna s'intéresse au roman de Pétrone. Il s'attache à ce qui rapproche son monde libertin et décadent du nôtre, bien sûr (voir l'épisode de la Matrone d'Éphèse), mais c'est plus sûrement le côté fragmentaire de l'œuvre qui a retenu son attention. À l'instar de Luciano Berio, le compositeur poursuit la déconstruction de l'opéra traditionnel, en lui préparant un avenir composite.
Dans son opéra en un acte, les styles se côtoient (récitations, déclamations, sprechgesang, etc., la voix et ses possibilités ne laissant aucun mystère au vénitien Maderna, héritier des Gabrieli et consorts...) et les références se ramassent à la pelle... En vrac – mais avec rigueur ! –, le grégorien succède au tango, la pompe anglaise précède une Music à la Webern with pigs... Verdi, Bizet, Strauss, Offenbach, Tchaïkovski, Chopin, Gluck, Puccini, Wagner sont joyeusement évoqués, et surtout Kurt Weill, puisque comme chez Bertold Brecht, on parle beaucoup de pouvoir et d'argent au banquet de Trimalchio.
Dans le chaudron du créateur, il y a également son livret polyglotte – qui mêle anglais, allemand, français à quelques phrases latines originales – et la présence d'un ensemble instrumental alternant avec une bande enregistrée (rires, sifflets, gloussements, soupirs... et les grognements des fameux cochons évoqués plus haut). On n'est pas loin de l'opera buffa puisque l'expressionnisme de certaines situations peut passer en un clin d'œil dans le domaine du grotesque, et ce jusqu'au Farewell final, à la fois comique et touchant. L'œuvre originale elle-même est une satire qui jongle avec le rire et les larmes si bien que Maderna reste fidèle à son modèle dans son travail de désacralisation et de distanciation avec l'opéra bourgeois.
Ici, l'ouvrage est interprété par Sandro Gorli, élève et ami du compositeur, et qui défend beaucoup sa musique aujourd'hui (nombreux enregistrements pour le label Stradivarius), à la tête de l'ensemble Divertimento de Milan, que l'on put entendre il y a quelques semaines à Bruxelles [lire notre chronique du 2 novembre 2003]. Ils offraient en 1991 une lecture pétillante autant que précise, dont chaque trait solo était particulièrement soigné (un grand bravo à la percussion, entre autres), rendant un bel hommage à un musicien trop tôt disparu, et c'est cet enregistrement que Montaigne réédite aujourd'hui. On retiendra la prestation du mezzo-soprano Milagro Vargas dans le rôle de Fortunata, qui parodie avec délice et d'un timbre avantageusement coloré les héroïnes du répertoire français (If I like you, you're lucky ; if I don't, god help you très carménien, ou cet hymne aux philosophes, comme d'autres aiment les militaires...).
La première exécution de Satyricon eut lieu le 16 mars 1973, à Scheweningen, dans le cadre du Festival de Hollande. C'est Maderna lui-même qui dirigeait cet opéra, mis en scène par Jan Strasfogel. Quelque trente ans après cette création et la disparition du compositeur (à Darmstadt, le 13 novembre 1973), l'Opéra de Nancy et de Lorraine, après Il Prigioniero (Dallapiccola) l'hiver dernier, met Satyricon à l'affiche de sa saison 2003-2004, couplé avec Le Journal Vénitien de 1972, une autre de ses œuvres courtes ; la mise en scène sera assurée par Georges Lavaudant et la direction musicale confiée à Luca Pfaff (26 et 27 février à 20h, 29 février à 15h, 2 et 3 mars à 20h) : nous vous souhaitons vivement d'en être !
HK